On les dit «invisibles » : en France 260 000 personnes, microtravailleraient.
Derrière nos applications, nos sites Web, Surtout nos algorithmes des milliers de travailleurs s’activent dans l’ombre pour faire fonctionner le mot numérique.
Au niveau mondial il serait entre 45 et 90 millions. Ce sont les clic workers. Ça sonne bien, mais cela n’évoque pas vraiment le travail et ce marché de la gig economy, qui signifie littéralement l’économie des petits boulots. Elle désigne tout travailleur indépendant ou auto entrepreneur, payé à la tâche.
Leur profil ? Des femmes en majorité, 56 %, entre 25 et 44 ans.
Plus précisément, ces clic workers nettoient des bases de données, modérer des contenus, évaluer des applications en ligne, cliquer sur des liens, classer des mots-clés, légender une photo, répondre à un questionnaire, etc…
Des petits boulots réalisés entre 10 secondes et 15 minutes en ligne, effectués sur un ordinateur ou un smartphone, et qui rapporte quelques centimes voire quelques euros. C’est une infinité de micros taches qui contribue à améliorer les systèmes d’intelligence artificielle. Car pour fonctionner, cette technologie doit être nourrie par d’énormes bases de données, conçues par des humains, à partir desquelles elles apprennent. Pour le moment, à défaut de se nourrir, ses employés nourrissent les data.
Un clic worker témoigne sur cette tâche qui consiste à jouer à une sorte de jeu vidéo. Les micros travailleurs doivent se diriger vers les personnages aux prénoms d’origine française, en appuyant sur la touche « avancer », et s’éloigner des prénoms d’origine maghrébine, en appuyant sur la touche « reculer ».
Amélie est modératrice, et modère du contenu toute la journée. Elle se heurte à la violence des images de meurtre, suicide, racisme. Le pire pour elle, mais je ne la citerai pas car c’est humainement intolérable. Ce qu’elle voit initie des risques de stress psychologique et traumatique. Qui ne sont pas pris en charge ni même reconnu par les plates-formes. Ces travailleurs du clic sont payés uniquement sur les commandes. Par exemple, si un client ne valide pas la micro tâche, le travailleur n’est pas rémunéré. Beaucoup d’entre eux, vont jusqu’à se créer des alertes en pleine nuit, pour maximiser leur chance de décrocher une mission.

Sans jamais avoir la certitude d’être rémunéré puisqu’une tâche inachevée dans les temps est remise sur le marché.
Ce sujet sensible un réveil aussi les arnaques dans son approche commerciale. Présenté en 2018 comme entièrement automatisé, l’assistant vocal Google duplex était supervisé par des personnes qui écoutaient et corrigeaient l’intelligence artificielle et parfois, se faisaient passer pour l’assistant vocal, qui simulait un être humain. L’intelligence artificielle produite par les plates-formes n’est finalement pas aussi automatisée qu’il n’y paraît et bel et bien nourrie par de l’intelligence humaine, à moindre frais.
Quelles sont les conditions de travail de ces personnes ?
Les modalités de travail des clic workers ont de quoi inquiéter : le temps est limité pour aller aux toilettes : cinq minutes, vingt minutes pour aller déjeuner. De plus lorsque l’on travaille pour certaines plates-formes comme Google, les témoignages sont en mode anonyme. Il leur est même interdit de travailler dans des lieux publics. La mission peut être stoppée par l’entreprise ou l’employé viré, sans préavis, Il n’y a pas de contrat mais un simple accord de participation voire, la seule adhésion aux conditions générales d’utilisation de la plate-forme. Le tout dans une grande opacité. Généralement les travailleurs ne savent pas pour qui ils agissent.
Dans cette affaire ce sont les plates-formes les gagnantes ?
Derrière les algorithmes d’Uber, Facebook, Deliveroo, Google, et d’autres comme Amazon Mechanikal Turk, la croissance et de 25 à 30 % par an. De fait, ces travailleurs du clic sont majoritairement issus d’Inde, des Philippines, du Pakistan, du Bangladesh, suivi des États-Unis et de l’Europe de l’Est. La grande difficulté pour réguler le micro travail, réside dans sa dispersion géographique et le fait que peu d’individus travaillent à plein temps. Il demeure, a minima, une régulation. Par l’application de lois existantes. Mais il n’y a pas de voix collective pour défendre leurs droits. Du côté du pays scandinaves, on trouve l’expérimentation d’une nouvelle forme de modèle : la flexi sécurité. Une libéralisation totale des contrats et des conditions d’embauche ou de licenciement.
Il y a tout à faire pour encadrer et ne pas amplifier la paupérisation, quelles perspectives pour conclure ?
Pour certains prospectivistes, la gig economy est une phase de transition du marché de l’emploi. Avant l’ère du transfert, ou l’on cumule des missions différentes pour des employeurs différents. Ces plates-formes opèrent dans une zone grise qui n’offre aucune des protections de nos sociétés au travail : assurance maladie, retraite, chômage.
Dans ce domaine, l’essor de la tech et des plates-formes se fait au détriment de la qualité de la vie humaine par la prolifération de nouveaux travailleurs pauvres, partout dans le monde, y compris en France. Selon un sondage Full Factory 40 % de ces personnes ont un CDI, 71 % d’entre elles travaillent à temps plein, et 22 % vivent sous le seuil de la pauvreté. Il faut souhaiter, par la visibilité des dangers et de cette précarité, d’une prise de conscience politique, et des outils juridiques.
Une chronique Patch tech, extraite du podcast TrenchTech, avec Nicolas Arpagian : https://podcast.ausha.co/trench-tech/guerre-tech-aux-frontieres-du-reel